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CAUSE RIL Episode #2

AMOUR D’ÉTÉ

Je me souviens qu’elle était à la fois mon premier amour et mon premier amour d’été. Elle était à Kin pour les grandes vacances. Elle habitait dans l’apart en dessous du nôtre. C’était la cousine de nos voisins, auxquels franchement, je ne parlais pas trop; mais ma jauge d’amitié envers eux a dû vite passer d’indifférent à intime, car je ne pouvais pas risquer de ne pas passer mon été à côté d’elle. J’en étais tombé amoureux dès le premier regard.

J’étais surexcité comme un chien, comme une fièvre, comme tout jeune adolescent qui découvre le bonheur enivrant d’aimer. Ce n’était pas la fille la plus jolie du monde, ni même la plus jolie du quartier, sa joliesse, pour tout dire, était assez négligeable. Cependant elle avait un quelque chose d’imperceptible et de charmant qui me séduisait, un je ne sais quoi d’hypnotique comme la couleur sombre du vin rouge. Je voyais au-delà de l’apparence. Étais-je déjà en mesure de reconnaitre que l’apparence n’était pas tout dans la vie et qu’on pouvait, en s’intéressant un peu plus profondément aux gens, rencontrer en eux des trésors enfouis bien plus précieux que la beauté?

À l’âge que j’avais, plus superficiel que moi tu meurs. Ce n’était pas moi, c’était elle qui avait su me percer.  Elle avait réussi à gratter les cordes invisibles de mes émotions. Je ne me rappelle plus exactement comment la conversation entre nous s’était enclenchée. Je sais seulement que j’avais tissé une amitié intéressée avec son cousin et que c’était par ce lien fragile que j’avais pu me hisser à elle.

De l’instant où j’avais lancé les démarches pour devenir ami avec son cousin à celui de notre première conversation, elle et moi, trois semaines s’était écoulées. Et dès qu’on s’était mis à parler, c’était le déluge, on n’arrêtait plus. On parlait tout le temps, de tout et de rien, de rien et de tout, souvent on passait du temps à ne pas parler du tout, à écouter chacun le silence de l’autre. On s’appelait tout le temps au téléphone — nos vieux téléphones qui n’avaient pas d’autres couleurs que le vert et qui avait des boutons d’acné.

On se rencontrait souvent au balcon comme dans Roméo et Juliette. C’était le balcon de la cuisine chez elle, chez moi le balcon de la chambre des parents, mais c’était les balcons de l’amour.  Je prenais sur ce balcon le risque énorme de réveiller mes parents qui dormaient, rien que pour ses grands yeux noirs.

Elle avait un de ces grands nez crochus qu’on avait envie de mordre gentiment. Elle était moins élancée que moi, mais quand elle se tenait sur la pointe des pieds nous avions à peu près la même taille. Sa peau avait l’adorable couleur noire du duramen des ébéniers. Ses cheveux étaient électriques et sentaient toujours bon. Une image mentale d’une goyave découpée rose m’apparaissait à chaque fois que je voyais sa bouche. Son charme immatériel comme le sucre sur du riz aux haricots saupoudrait toute sa beauté matérielle.

La douce folie de l’amour m’avait convaincu que j’étais devenu un homme. Alors, à la grande surprise de mes parents, je me mis à me comporter en tant que tel. Mes parents y voyaient clair, ils avaient flairé que leur grand garçon — que dis-je —  leur homme avait trouvé une femme. Mon père décida qu’il était grand temps de briser le mystère et de m’expliquer que les bébés ne naissent pas dans les choux et que, maintenant que j’étais devenu un homme, je devais être responsable et patient dans la vie pour obtenir ce que je voulais. C’était embarrassant. Mais j’avais plus ou moins compris ce qu’il voulait me faire comprendre.

Le jour d’après donc, “suivant rigoureusement” les conseils de mon père, j’ai tenté d’embrasser mon ébène, mon ciel, mon souffle, ma raison de vivre. J’avais vu mille fois à la télé des gens s’embrasser, ça ne pouvait pas être si compliqué que ça…

Imaginez deux pianos debout sur leur côté, qu’on rapprocherait l’un près de l’autre… imaginez les 52 touches blanches et 36 touches noires de l’un touchant les 52 touches blanches et 36 touches noires de l’autre… vous avez là l’image de ma première tentative de bécotage. Ça claquait de partout sans harmonie. Votre humble serviteur avait prodigieusement foiré, oui, on ne peut pas dire qu’il fit un tabac sa première fois. Mais parce qu’elle m’aimait, elle m’avait vite pardonné mon insuccès.

Notre relation durera un joli petit mois.

Je me rappelle le torrent de larmes que j’avais versé sur mon lit le jour où elle est partie. J’étais un bonhomme solide et les douleurs physiques m’arrachaient difficilement des larmes. Mais je découvrais en moi une autre forme de douleur et ma fragilité face à elle — le mal d’aimer. En matière d’amour j’étais hypersensible, et je pleurnichais à tout va.

Je me souviens de plein d’autres détails bien plus croustillants de ce premier amour et de cet été, cependant j’ai tout essayé mais rien à faire, je n’arrive pas à me souvenir de son nom.